Les graveurs du XIXe siècle, Paris L. Conquet, 1891, vol.11, pp.186-189.
de Angelo Ferdinand dit Henri Beraldi
RENOUARD (Paul), dessinateur et graveur, né à Cour-Chaverny (Loir-et-Cher) en 1845.
Remarquable et très original talent d’illustrateur-observateur. Nous l’appelons ainsi pour le distinguer des illustrateurs-compositeurs, qui ayant à commenter par l’image un texte donné, ne sortent pas de leur atelier où sont accumulés les renseignements, les anciennes estampes, les défroques des temps passés, vieux feutres, vieux pourpoints, vieilles chausses, veilles bottes. Ces illustrateurs-ci sont, pour employer le néologisme à la mode, des « documentés » et laissera sur notre un vaste reportage dessiné des plus piquants.
Croquiste alerte, observateur de la vie contemporaine, Renouard est l’antipode de l’homme qui fait poser dans l’atelier de modèle costumé. Toujours sorti, allant et venant, il regarde, saisit d’un coup d’oeil les types, les gestes, les allures, et les fixe prestement en d’innombrables dessins que nous retrouvons peu après dans L’Illustration, ou la Revue L’Illustrée, ou le Paris-Illustré, ou le Graphic ou les revues américaines. Il entre au Palais de justice un jour de cause célèbre et prend sur le vif président, assesseurs, greffier, jurés, accusés, gendarmes, avocats et témoins. Il entre à la Bourse et le voici bientôt nanti des portrais de tous les agents, coulissiers et spéculateurs de marque. Il entre au Conservatoire et en ressort ayant noté toutes les attitudes des petites violonistes, toutes les poses et tous les gestes de tous les élèves des classes de déclamation. De là il va l’Institut, à la Salpétrière, aux Enfants assistés, aux Invalides, à la Poste, aux halles, à l’Exposition de 1989, et, le soir, dans quelques orageuse réunion publique. Son originalité est d’apporter dans l’observation une vision spirituelle et humoristique sans tomber dans la déformation caricaturale (1).
Nous pouvons donc nous fier à lui, mème quand il viendra de loin : car Paul Renouard ne se contente pas de Paris ; voyageur infatigable, il a donné des dessins sur les mines, les arsenaux, Monaco, et le jeu à Monté-Carlo ; on l’a appelé à Londres : d’où les portraits des membres de la Royal Academy, les séries d’études sur l’académie de peinture, les prisons, les théatres, l’école de musique de Guidhall, les pantomimes, les Invalides de Chelsea. Il est allé en Irlande. On lui a fait prendre le transatlantique (d’où : série de dessins sur la vie à bord dudit transatlantique) et on l’a envoyé aux États-Inis, et les sujets pris dans le monde politique américain ne sont pas les moins curieux de son oeuvre. Avant-hier il était en Tunisie ; hier à Rome, pour les cérémonies de la Semaine-Sainte (2), où à Portsmouthe avec l’Amiral Gervais. C’est le Juif-Errant, de l’Illustration. Mais de tous ses voyages, le plus intéressant reste encore, tout simplement, sa grande exploration de l’Opéra.
Le Nouvel Opéra, par Paul Renouard. Rouam, librairie de l’Art, 1881, Album in-fol., eau-forte et aquatinte. (Gravures de diverses dimensions)
Couverture : Farandoles de danseuses. – Le charpentier. – La leçon de danse. – Le spectre d’Hamlet.- La loge des Comparses. – Visite sur les toits. – L’Opéra vu par le coté. – Figurants descendant à la scène. – Étude de seize danseuses. – Le fond de la scène et les machinistes. – Classe de danse. – Petites danseuses assises. – L’Orchestre : la Batterie. – Études de dix-neuf danseuses. – Cinq fillettes de l’école de danse. – Une répétition. – Le restaurateur des armures. – Le sommeil du machiniste. – Pompier regardant par un oeil de boeuf grillé d’une lyre. – Les petites filles de la classe de danse sur l’escalier. – Danseuses devant une affiche. – Figurant, en homme d’armes, assis sur une rampe d’escalier. – Dans les coulisses. – Fillettes sur l’escalier. – Pas de trois par les fillettes. – Vue des toits. – La petite danseuse sur les genoux de sa mère. – Classe de danse, exercice d’assouplissement. – La loge directoriale. – L’orchestre : le Harpiste. – Le charpentier allumant sa pipe.
On peut prédire que, sans être d’un métier exceptionnel, ce très original recueil deviendra sûrement, dans les temps à venir, un objet de haute curiosité, et qu’il se paiera dans cent ans les prix que nous payons aujourd’hui, par exemple, les recueils d’il y a cent ans sur les modes.
P. Renouard a encore gravé La Grand Mère, croquis à l’eau-forte (Gazette des Beaux Arts, 1877) et Gambetta sur son lit de mort, in-4 en 1.
1) Il ne faut jamais manquer, quand on décrit une notice sur Paul Renouard, de dire qu’il a senti la vocation du dessin lui venir tout à coup, en regardant au Louvre la vierge de Botticelli. Il n’y a pas comme ces traits-là pour bien faire dans une biographie et pour lui donner du piment et de l’allure.
2) Rome, La Semaine-Saint, Boussod-Valadon, 1891, in-4, avec 53 dessins. Nous n’entrerons pas dans le détail des estampes de Renouard, car ce ne sont généralement que des reproductions au procédé, qui sont d’ailleurs loin de favoriser l’artiste. Les dessins originaux sont, naturellement, beaucoup plus intéressants. On a pu les voir à l’exposition qui en a été faite au théâtres d’application, en 1890. En tête du Catalogue de cette exposition on trouvera, sur l’artiste, une vive et amusante notice d’Armand Dayot.